Permis unique ou permis distinct : quels sont les critères permettant au pétitionnaire de s’affranchir de l’obligation de déposer un seul permis pour les opérations complexes ?
C’est la question à laquelle le Conseil d’Etat vient d’apporter une réponse dans un arrêt du 16 octobre 2016 « Société WPD Energie 21 Limousin » (n° 391092) en date du 12 octobre 2016.
Il convient de rappeler la situation juridique applicable en matière de permis portant sur des opérations complexes.
Constitués de plusieurs éléments et formant un ensemble immobilier unique, elles doivent faire normalement l’objet d’un seul permis de construire.
C’est la position de principe adoptée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt « Commune de GRENOBLE » du 17 juillet 2009 (CE, 17 juillet 2009, n°301615) par lequel il a été jugé qu’un ensemble immobilier unique ne pouvait faire l’objet de permis de construire distincts qu’autant que l’ampleur et la complexité du projet le justifient.
Chaque autorisation doit alors porter sur des éléments de construction et avoir une vocation fonctionnelle autonome.
L’ensemble immobilier unique était alors défini comme constitué d’éléments ayant entre eux des liens physiques ou fonctionnels.
Dans cette affaire du Stade des Alpes de GRENOBLE, le Conseil d’Etat avait pris le contre-pied de décisions selon lesquelles un permis de construire portant sur l’ensemble du projet devait en principe faire l’objet d’une seule et même demande de permis de construire :
- un arrêt du Conseil d’Etat du 10 octobre 2007, Mr et Mme Demoures, par lequel la haute juridiction avait considéré qu’un ensemble de constructions indivisibles ne pouvait faire l’objet que d’un permis de construire unique, et qu’il en résultait qu’un permis de construire ne pouvait être délivré à une partie seulement d’un ensemble indivisible ;
- un autre arrêt du 25 septembre 1995 n° 120438, Giron, jugeant que deux corps de bâtiment séparés mais communicant entre eux constitue une construction unique au sens des dispositions de l’article L. 421-1 du Code de l’Urbanisme, qui ne nécessitait en tout état de cause pas la délivrance de deux permis de construire ;
- un arrêt du 17 décembre 2003 n° 242282, Bontemps, considérant que les travaux portant sur l’édification du mur de soutènement et de la terrasse entourant le bassin d’une piscine n’étaient pas dissociables de l’implantation de celle-ci, et ne pouvaient donc faire l’objet d’une décision distincte de celle portant sur sa réalisation.
L’arrêt rendu le 17 juillet 2009 prend le contrepied de ces décisions : le Conseil d’Etat considère en effet qu’en l’espèce, « le stade et le parc de stationnement sous-jacent constituaient un seul ensemble immobilier ayant fait l’objet d’une conception architecturale globale, comme l’a souverainement jugé la Cour ; qu’en raison de l’ampleur et de la complexité du projet, les deux éléments de cet ensemble immobilier, ayant chacun une vocation fonctionnelle autonome, étaient susceptibles de donner lieu à des permis de construire distincts ; que, dans ces conditions, si les juges d’appel ont à bon droit jugé qu’il appartenait à l’autorité administrative de porter, au regard des règles d’urbanisme applicables, une appréciation globale sur les deux demandes de permis de construire présentées, respectivement, par la COMMUNAUTE D’AGGLOMERATION GRENOBLE ALPES METROPOLE et par la COMMUNE DE GRENOBLE, ils ont commis une erreur de droit en estimant que le permis autorisant la construction du stade était illégal du seul fait qu’il ne portait pas sur la totalité de l’ensemble immobilier, sans rechercher si cette circonstance avait fait obstacle à ce que le maire de Grenoble ait vérifié, dans le cadre d’une appréciation globale portant sur la totalité du projet, que la délivrance de deux permis permettait de garantir le respect des règles et intérêts généraux qu’aurait assuré la délivrance d’un permis unique, alors au surplus qu’en l’espèce les deux permis avaient fait l’objet d’une instruction commune et avaient à l’origine été délivrés le même jour ».
Cette position rendue sur les conclusions conformes de Madame BURGUBURU venait consacrer une pratique qui cherchait à concilier, comme n’a pas manqué de le souligner le Rapporteur public, les exigences de la légalité et le principe de réalité dans sa complexité et sa diversité.
Une solution inverse aurait en effet semblé exagérément rigide et peu adaptée aux grands projets d’urbanisme.
Il convient en effet de rappeler que les dispositions de l’article L. 421-1 du Code de l’Urbanisme, dans leur rédaction applicable en l’espèce, prévoyaient que toute construction doit faire l’objet préalable d’un permis de construire, les dispositions de l’article L. 421-3 précisant que le permis ne peut être accordé que si les constructions et les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et règlementaires concernant l’implantation des constructions, leur destination, leur nature, leur architecture, leur dimension, leur assainissement et l’aménagement de leurs abords.
L’administration doit ainsi vérifier que le projet qui lui est soumis ne méconnaît aucune règle d’urbanisme, auquel cas, et sauf exceptions prévues dans le cadre d’une procédure de sursis à statuer ou encore en application d’une législation spécifique, elle ne peut refuser d’accorder l’autorisation demandée.
Dès lors que l’administration ne peut se prononcer qu’au vu du dossier présenté par le pétitionnaire, celui-ci doit donc lui offrir une connaissance complète du projet indépendamment de toute autre information dont l’administration pourrait avoir par ailleurs connaissance.
Ce principe d’indivisibilité conduisait dès lors le Juge administratif à considérer qu’en ensemble immobilier unique devait faire l’objet d’une demande unique, et qu’à défaut, l’autorisation devait être refusée, l’autorité n’étant pas à même de prendre parti sur la conformité de l’ensemble du projet aux règles d’urbanisme.
Dans l’arrêt Ville de GRENOBLE, portant sur la construction du stade des Alpes de la ville, le Conseil d’Etat, a, suivant les conclusions de son Rapporteur Public, considéré que la Cour avait commis une erreur de droit en annulant le permis au seul motif qu’il ne portait pas sur la totalité de l’ensemble immobilier que constituait bien l’opération « stade + parking », le Rapporteur public soulignant que si l’ampleur de l’opération impliquait effectivement que l’administration reste en mesure de porter une appréciation globale sur l’opération projetée et d’apprécier ainsi la légalité du permis attaqué au regard des règles d’urbanisme auxquelles l’opération d’ensemble a été soumise, la Cour ne pouvait toutefois en déduire l’annulation du permis sans rechercher dans la limite des moyens dont elle était saisie si elle avait eu une incidence sur le respect de ces règles par le permis attaqué.
Dans l’arrêt commenté du 12 octobre 2016, le Conseil d’Etat vient apporter des précisions sur la notion d’ensemble immobilier unique afin de déterminer si le projet doit être soumis ou non à permis de construire global.
La Haute Juridiction précise en effet que lorsque deux constructions sont distinctes, la seule circonstance que l’une ne pourrait fonctionner ou être exploitée sans l’autre, au regard de considération d’ordre technique ou économique et non au regard des règles d’urbanisme, ne suffit pas à caractériser un ensemble immobilier unique.
« En se fondant sur l’existence d’un lien fonctionnel de nature technique et économique entre ces constructions distinctes, au demeurant éloignées, pour en déduire qu’elles constituaient un ensemble immobilier unique devant faire l’objet d’un même permis de construire, la Cour a commis une erreur de droit ».
Et la Haute Juridiction de censurer l’arrêt rendu par la Cour Administrative d’Appel de BORDEAU annulant le permis de construire de trois éoliennes sur le territoire de la Commune de C. et un permis de construire de deux éoliennes sur le territoire sur la Commune de S.-P.
Ainsi, si l’ensemble immobilier unique est défini comme constitué d’éléments ayant entre eux des liens physiques ou fonctionnels, l’existence seule d’un lien fonctionnel d’ordre technique ou économique ne suffit pas en présence d’éléments immobiliers distincts à caractériser un ensemble immobilier unique et donc l’obligation d’une autorisation unique.
Le Conseil d’Etat prend ainsi le contre-pied du raisonnement retenu par les Juges d’appel qui avaient considéré que « si le pétitionnaire avait envisagé la construction d’un parc éolien comprenant six éoliennes et leur poste de livraison, le Préfet de la Creuse avait autorisé seulement la construction de 5 éoliennes par les deux permis de construire en litige et a refusé le permis de construire de la sixième éolienne et le poste de livraison permettant le raccordement du parc au réseau public ; que toutefois si un aérogénérateur et un poste de livraison sont des constructions distinctes, elle ne présente pas le caractère de constructions divisibles mais sont au contraire fonctionnellement liées entre elles ; que ces différents éléments d’un même projet éolien ne peuvent pas non plus être regardés comme des éléments ayant une vocation fonctionnelle autonome pouvant donner lieu à des permis de construire distincts, en raison notamment de l’ampleur ou de la complexité du projet ; que, par suite, alors même qu’il était saisi de demandes de permis distinctes, le préfet ne pouvait autoriser la construction des cinq éoliennes alors qu’il refusait par ailleurs le permis de construire le poste de livraison indispensable à leur fonctionnement ».
Cette décision frappée au coin du bon sens quant à la mise en œuvre concrète des autorisations d’urbanisme est censurée par le Conseil d’Etat, qui, manifestement, a souhaité tiré prétexte de ce litige pour venir préciser la notion d’ensemble immobilier unique.
Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord les dispositions de l’article L 421-6 du Code de l’Urbanisme aux termes desquelles « le permis de construire ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux normes de fond résultant des dispositions législatives et règlementaires relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords ; qu’il résulte de ces dispositions qu’une construction constituée de plusieurs éléments formant, en raison des liens physiques ou fonctionnement entre eux, un ensemble immobilier unique, doit en principe faire l’objet d’un seul permis de construire » .
Il rappelle ensuite que le permis de construire a pour seul objet de s’assurer de la conformité des travaux qu’il autorise avec la législation ou la règlementation d’urbanisme ; qu’il résulte de là que lorsque deux constructions sont distinctes, la seule circonstance que l’une ne pourrait fonctionner ou être exploitée sans l’autre au regard de considération d’ordre technique ou économique et non au regard des règles d’urbanisme ne suffit pas à caractériser un ensemble immobilier unique.
Le Conseil d’Etat en conclut que le seul fait pour la Cour de s’être fondée sur l’existence d’un lien fonctionnel de nature technique et économique entre des constructions distinctes pour en déduire qu’elles constituaient un ensemble immobilier unique, était entaché d’erreur de droit.
La Cour aurait dû en réalité caractériser l’existence d’un lien physique.
Lorsque le lien physique n’existe pas, le principe est la délivrance d’autorisations distinctes sauf critères fonctionnels.
Il revient au critère fixé par l’arrêt Ville de Grenoble du 17 juillet 2009 qui autorise la délivrance de deux permis de construire distincts lorsque les éléments ont une vocation fonctionnelle autonome et que l’administration peut appréhender le projet dans son ensemble.
Il semble cependant abandonner l’exigence d’une opération complexe et de grande ampleur posée dans l’arrêt Ville de Grenoble et rappelé dans l’arrêt du 19 juin 2015, Grands Magasins de la Samaritaine (n°387061) qui concernait deux ilots immobiliers distincts ayant chacun une vocation fonctionnelle autonome
Comme n’avait pas manqué de souligner Madame BURGUBURU, Rapporteur Public, sous l’arrêt Ville de GRENOBLE de 2009, « permettre, certes dans un nombre de cas restreints, des permis limités à des éléments d’une construction d’ensemble, nécessairement partiels, porte en soi le risque d’autoriser une construction méconnaissant au final les règles d’urbanisme alors même qu’elle serait conforme à son propre permis ».
Le Conseil d’Etat dans l’arrêt du 16 octobre n’ouvre pas bien plus grande la porte des permis distincts mais semble assouplir les exigences en la matière, le principe restant cependant toujours le permis unique.
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