La juridiction judiciaire reste compétente. (Cour de cassation, Civ. 1ère, 16 novembre 2016, 16-14.152).
Il a longtemps été de jurisprudence bien établie que les conclusions reconventionnelles tendant à la condamnation à des dommages et intérêts pour procédure abusive étaient irrecevables dans le cadre d’une instance en annulation pour excès de pouvoir.
Toutefois, afin de contourner cette position rigoureuse des juridictions, la loi du 18 juillet 2013 a introduit dans le code de l’urbanisme la possibilité pour le bénéficiaire d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager faisant l’objet d’un recours contentieux « mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis », de demander au juge administratif saisi du recours de lui allouer des dommages et intérêts (art. L. 600-7 du code de l’urbanisme).
D’aucun pensait qu’en application de ces nouvelles dispositions, le juge administratif s’était ainsi vu doté d’une compétence exclusive pour réparer les dommages subis du fait d’un recours abusif contre une autorisation d’urbanisme.
Telle n’est pas la solution retenue par la Cour de cassation dans sa décision du 16 novembre 2016.
Saisie d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt de la Cour d’Appel de POITIERS, laquelle avait retenu la compétence du juge judiciaire après avoir infirmé la décision des juges de première instance qui l’avaient, à l’inverse, déclinée, la Cour de cassation a tranché sans ambiguïté cette question qui portait, il est vrai, à confusion.
Le principe énoncé par la Cour de cassation est le suivant : « … par dérogation au principe selon lequel des conclusions reconventionnelles tendant à ce que le demandeur soit condamné au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ne sont pas recevables dans une instance en annulation pour excès de pouvoir, l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme permet au bénéficiaire d’un permis de construire de solliciter, devant le juge administratif saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre ce permis, des dommages-intérêts contre l’auteur du recours, une telle faculté n’étant cependant ouverte que dans des conditions strictement définies par ce texte ; que la cour d’appel a décidé, à bon droit, que cette disposition légale n’avait ni pour objet ni pour effet d’écarter la compétence de droit commun du juge judiciaire pour indemniser, sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240 du code civil, le préjudice subi du fait d’un recours abusif ; que le moyen n’est pas fondé ; »
Autrement dit, la Cour de cassation considère que rien dans les dispositions du nouvel article L. 600-7 du code de l’urbanisme précité ne permet d’écarter la compétence « de droit commun » que le juge judiciaire tire des dispositions de l’article 1240 (ancien article 1382) du code civil pour réparer les préjudices subis du fait d’un recours abusif.
Cela signifie qu’à l’heure actuelle, les bénéficiaires d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager victimes d’un recours abusif disposent de deux voies de droits distinctes pour obtenir réparation de leurs préjudices, soumises à des conditions et à des juges différents : la saisine du juge administratif dans les conditions dérogatoires prévues par l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, ou la saisine du juge judiciaire dans les conditions de mise en œuvre de l’article 1240 (ancien 1382) du code civil.
Cette solution, sans doute favorable aux justiciables auxquels plusieurs voies de droit sont ainsi offertes, n’est toutefois pas sans susciter un certain nombre d’interrogations.
On peut légitimement s’interroger, notamment, si les juridictions administratives et judiciaires parviendront à harmoniser leurs jurisprudence en la matière, afin de ne pas créer de distorsions trop importantes dans la réparation des préjudices subis par les justiciables, selon que ces derniers auront privilégié la saisine du juge judiciaire, ou du juge administratif.
Cette question se pose en effet tant au stade de l’appréciation de la recevabilité des recours, que de celui de l’interprétation de la notion de « recours abusif », d’« intérêts légitimes », ou encore, de l’appréciation des préjudices subis par la victime, et seule la pratique contentieuse apportera des éléments de réponse à cette interrogation.
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