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Juin

CHALET D’ALPAGE : La restriction d’usage n’est pas anticonstitutionnelle

Par une décision du 10 mai 2016, n°2016-540, le Conseil Constitutionnel a déclaré conforme à la constitution la possibilité pour les Maires délivrant un permis de construire ou ne s’opposant pas à une déclaration de travaux sur un chalet d’alpage ou un bâtiment d’estive, d’imposer une servitude de non utilisation de l’immeuble en cause en période hivernale.

Le Conseil Constitutionnel avait été saisi le 12 février 2016 par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la constitution garantit du second alinéa du paragraphe I de l’article L.145-3 du Code de l’Urbanisme.

Cet article énonce : « lorsque des chalets d’alpage ou des bâtiments d’estive, existants ou anciens, ne sont pas desservis par les voies et réseaux, ou lorsqu’ils sont desservis par des voies qui ne sont pas  utilisables en période hivernale, l’autorité compétente peut subordonner la réalisation de travaux faisant l’objet d’un permis de construire ou d’une déclaration de travaux à l’institution d’une servitude administrative, publiée au fichier immobilier, interdisant l’utilisation du bâtiment en période hivernale ou limitant son usage pour tenir compte de l’absence de réseaux. Cette servitude précise que la commune est libérée de l’obligation d’assurer la desserte du bâtiment par les réseaux et équipements publics. Lorsque le terrain n’est pas desservi par une voie carrossable, la servitude rappelle l’interdiction des véhicules à moteur édictée par l’Article L.362-1 du Code de l’Environnement« .

L’article désormais codifié à l’Article L.122-11 du Code de l’Urbanisme autorise ainsi l’autorité administrative  à subordonner la délivrance d’un permis de construire ou l’absence d’opposition à une déclaration de travaux à l’institution d’une servitude interdisant ou limitant l’usage à période hivernale, des chalets d’alpage ou des bâtiments d’estive non desservis par des voies et réseaux.

Elle a été introduite par la Loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 – Urbanisme et Habitat – dans le cadre d’une évolution des règles en matière d’urbanisation en zone de montagne initialement fixée par la Loi n° 85-30 du 9 janvier 1985, dit Loi Montagne.

Compte tenu de leur caractère patrimonial, les chalets d’alpage ou les bâtiments d’estive font l’objet de traitement particulier par le législateur au regard des règles d’urbanisme. Comme le précisait la circulaire n° 96-66 du 19 juillet 1996, « les chalets d’alpage sont un élément majeur de ce patrimoine montagnard. Leur protection et leur mise en valeur, impliquent un effort particulier de recherche et d’innovation et l’adaptation au niveau national comme à celui des régions et des massifs, des dispositions législatives ou réglementaires et des autres mesures de portée générale lorsque les particularités de la montagne le justifient. » Le législateur a donc voulu faire évoluer la Loi dite Loi Montagne, puisque l’Article L.145-3 n’autorisait à l’initial que les constructions nécessaires à ces activités ainsi que les équipements sportifs destinés notamment à la pratique du ski.

La Loi du 9 février 1994 a complété le paragraphe I de l’article L.145-3 du Code de l’Urbanisme afin de permettre la restauration ou la reconstruction d’anciens chalets d’alpage. Il s’agissait de permettre la préservation de ces chalets témoins architecturaux d’une civilisation agro-pastorale propre à certains massifs, et d’assurer la poursuite d’activités professionnelle saisonnière rencontrées dans certains massifs.

Idyllic landscape in the Alps with mountain lodge in spring

© JFL Photography – Fotolia.com

 

Cependant, le législateur a souhaité prévenir tout abus éventuel en subordonnant ces travaux à l’autorisation du Préfet et à l’avis de la commission départementale des sites, et n’admettre, s’agissant des extensions, que celles liées à une activité professionnelle saisonnière.

La Loi du 2 juillet 2003 a étendu l’application de l’article L.145-3 du Code de l’Urbanisme aux chalets d’estive qui ont la même fonction agro pastorale que les chalets d’alpage mais portent une appellation différente dans d’autres massifs montagneux.

La Loi du 2 juillet 2003 a également prévu la possibilité d’instaurer, en cas de reconstruction de chalets d’alpage ou de bâtiments d’estive, une servitude administrative qui en interdit ou en limite l’usage en période hivernale.

Cette servitude administrative est un acte de puissance publique qui revêt un caractère d’ordre public. Elle permet d’éviter qu’un chalet d’alpage ne devienne une résidence, de telle sorte que la commune serait tenue d’en assurer le raccordement aux réseaux d’eau et d’électricité et l’accessibilité routière.

Pour qu’une telle servitude puisse être instituée, plusieurs conditions doivent être remplies :

  • L’autorité administrative compétente doit être saisie d’une demande de permis de construire ou d’une déclaration de travaux portant sur la restauration, la reconstruction ou l’extension d’un chalet d’alpage ou d’un bâtiment d’estive.
  • Le bâtiment ne doit pas être desservi par les voies et réseaux ou que ces voies et réseaux ne soient pas utilisables en période hivernale.
  • La portée de la servitude doit tenir compte de l’absence de réseaux.
  • Enfin, la servitude doit être publiée au fichier immobilier.

Une SCI devenue propriétaire d’une ferme d’alpage soutenait qu’en permettant à l’autorité administrative d’instituer une servitude interdisant l’usage des chalets d’alpage et des bâtiments d’estive en période hivernale sans prévoir une indemnisation du propriétaire, les dispositions méconnaissaient les exigences de l’article 17 de la Déclaration du Droit de l’Homme et du Citoyen de 1789. Selon elle, cette servitude, qui n’était ni justifiée par un motif d’intérêt général ni proportionnée à l’objectif poursuivi, et dont l’institution n’était entourée d’aucune garantie procédurale, méconnaissait également les exigences de l’article 2 de la Déclaration de 1789. Elle reprochait enfin aux dispositions contestées de porter atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques et à la liberté d’aller et de venir.

Les Sages n’ont pas suivi cette argumentation considérant que la servitude n’entraîne pas une privation de propriété au sens de l’Article 17 de la Déclaration de 1789, mais une limitation à l’exercice du droit de propriété.

Ils relèvent également qu’en permettant d’instituer une telle servitude, le législateur a voulu éviter que l’autorisation de réaliser des travaux sur des chalets d’alpage ou des bâtiments d’estive, ait pour conséquence de faire peser de nouvelles obligations de desserte aux anciens bâtiments par des voies et réseaux. Il a également voulu garantir la sécurité des personnes en période hivernale. Ainsi le législateur a poursuivi un motif d’intérêt général.

Enfin, les Sages relèvent que le champ d’application des dispositions contestées est circonscrit aux seuls chalets d’alpage et bâtiment d’estive conçus à usage saisonnier et qui, soit ne sont pas desservis par les voies et réseaux, soit sont desservis par des voies et réseaux non utilisables en période hivernale. La servitude ne peut être instituée qu’à l’occasion de la réalisation de travaux exigeant un permis de construire ou une déclaration de travaux. Elle s’applique uniquement pendant la période hivernale mais elle ne peut excéder ce qui est nécessaire compte tenu de l’absence de voies ou de réseaux.

Dès lors, la décision d’établissement de la servitude qui est subordonnée à la réalisation par le propriétaire des travaux exigeant un permis de construire ou une déclaration de travaux est placée sous le contrôle du juge administratif. Le propriétaire du bien, objet de la servitude, dispose de la faculté au regard des changements de circonstances d’en demander l’abrogation à l’autorité administrative à tout moment.

En conséquence, ces dispositions ne portent pas au droit de propriété, une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi.

Les Sages ont également relevé que le seul fait de permettre, dans ces conditions, l’institution d’une servitude ne créait aucune rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Les dispositions contestées qui subordonnent la portée des restrictions à l’usage d’un chalet d’alpage ou d’un bâtiment d’estive ne portent aucune atteinte à la liberté d’aller et de venir.

En conséquence, le Conseil Constitutionnel a déclaré conforme à la constitution le second alinéa de paragraphe I de l’Article 1456-3 du Code de l’Urbanisme et confirme que la restriction d’usage des chalets d’alpage n’est pas anticonstitutionnelle.

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