(Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juin 2020, n° 18-15.614)
Pour les sociétés qui clôturent leur exercice au 31 décembre de chaque année, la date du 30 juin est une date limite pour l’organisation de l’assemblée générale d’approbation des comptes et de décision de distribution des dividendes.
Dans les litiges entre associés, la volonté d’un bloc majoritaire de faire pression sur le minoritaire se matérialise le plus souvent par une non-distribution de dividendes afin d’étouffer cet associé récalcitrant, le maintenir à l’écart et lui démontrer que sa part minoritaire dans la société n’a quasi aucun intérêt pour lui.
La Cour de cassation a eu à se préoccuper, dans son arrêt du 10 juin 2020, d’une situation traitée par la Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE dans un arrêt rendu le 8 février 2018.
L’affaire était simple, des associés avaient décidé d’affecter le résultat à hauteur de 550 346 € en intégralité aux réserves.
Les associés minoritaires ont estimé que cette décision était constitutive d’un abus de majorité et ont saisi les juridictions en annulation de la résolution de l’assemblée générale et de la condamnation de la société à payer une provision d’un montant de 500 000 € à valoir sur sa participation aux bénéfices.
La Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE avait accepté d’annuler la résolution et reconnu l’existence d’un abus de majorité.
L’abus de majorité est une faute en Droit civil gérée par les dispositions de l’article 1240 du Code civil qui dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L’arrêt de la Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE avait considéré que la mise en réserve systématique des résultats pendant de nombreuses années et sans projet d’investissements ou nécessité de gestion était susceptible de caractériser un abus de majorité dès lors qu’elle prive les actionnaires minoritaires de leur droit aux dividendes, alors que la vocation d’une société ayant une activité foncière est en principe de procurer un revenu périodique aux associés.
Il s’agissait en effet d’une activité de gestion d’un patrimoine immobilier sans crédit en cours ni projet d’investissements comme il en existe de manière très courante.
Si une gestion prudente peut justifier la constitution de réserves dans l’éventualité d’une vacance prolongée de biens, les mises en réserve litigieuses systématiques n’apparaissent pas légitimes alors que la société dispose déjà de réserves conséquentes.
La Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE avait également relevé que les biens immobiliers appartenant à la société objets du litige étaient donnés en location à une vingtaine de locataires différents et que le plus important des deux biens appartenant à sa filiale était loué au Conseil Régional, de sorte que la nécessité de se prémunir contre un risque de vacance massif devait être relativisée.
L’arrêt de la Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE en a donc déduit que la politique de mise en réserve systématique s’apparentait à de la pure thésaurisation contraire à l’intérêt social et privant les associés minoritaires de leur droit à bénéfices, puisqu’il a été constaté qu’aucun dividende n’avait été distribué depuis de nombreuses années.
Les actionnaires majoritaires ont donc commis un abus pour la Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE.
La Cour de cassation ne suit pas ce raisonnement.
Elle estime qu’en se déterminant de cette façon, sans expliquer en quoi la résolution litigieuse avait été prise dans l’unique dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment des minoritaires, la Cour d’appel avait privé sa décision de base légale.
Ainsi, dans ce type d’affaire et de comportements courants , il ne suffit pas de constater purement et simplement une thésaurisation des dividendes sans projet d’investissements ni intérêt au regard du risque, mais rechercher si les associés majoritaires avaient voulu se favoriser eux-mêmes au détriment de l’associé minoritaire.
Ainsi, pour que l’abus de majorité soit retenu, il faut que la décision litigieuse de l’assemblée générale soit prise dans l’intérêt unique des associés majoritaires au détriment du ou des associés minoritaires.
Par exemple, cette décision pourrait permettre au dirigeant, s’il est associé majoritaire, d’augmenter sa propre rémunération ou se verser des primes au lieu de voter dans le sens d’un paiement de dividendes pour tous les associés.
Cette jurisprudence recadre parfaitement le cadre des litiges entre associés.
La mise en réserve systématique, bien qu’elle puisse être vécue par des associés minoritaires comme une pression excessive, ne doit pas constituer en soi un abus de majorité si l’associé majoritaire n’y retire pas autre chose que de la satisfaction.
Béatrice Bénichou- Médina – Notaire – Office Notarial Europole Presqu’île
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