Dans le cadre sensible du contentieux des antennes-relais de téléphonie mobile, le Conseil d’Etat vient d’opérer un important revirement de sa jurisprudence antérieure concernant l’opposabilité du principe de précaution aux autorisations d’urbanisme.
LE CE RECONNAÎT L’OPPOSABILITÉ DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION AUX AUTORISATIONS D’URBANISME
Dans le cadre toujours sensible du contentieux des antennes-relais de téléphonie mobile, le Conseil d’Etat vient, par un arrêt du 19 juillet 2010, d’opérer un important revirement de sa jurisprudence antérieure concernant l’opposabilité du principe de précaution aux autorisations d’urbanisme.
En effet, dans son arrêt Association du Quartier Les Hauts de Choiseul (n° 328687), le Conseil d’Etat revient sur sa jurisprudence Société Bouygues Télécom du 20 avril 2005 dans laquelle il avait consacré le principe de l’indépendance des législations en considérant que les dispositions de l’article L. 110-1 du Code de l’Environnement, communément dénommé « principe de précaution », « ne sont pas au nombre de celles que doit prendre en compte
l’autorité administrative lorsqu’elle se prononce sur l’octroi d’une autorisation délivrée en application de la législation sur l’urbanisme » (CE 20-04-2005, Société Bouygues Télécom : n° 248233).
Cet arrêt Société Bouygues Télécom avait, certes, été rendu en l’état du droit antérieure à la Loi constitutionnelle du 1er mars 2005 qui a consacré la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement, mais ceci n’avait pas empêché le Conseil d’Etat de maintenir ultérieurement son approche « orthodoxe » du principe de l’indépendance des législations dans un arrêt Société Française du Radiotéléphone rendu le 2 juillet 2008, dans lequel il rappelait que « l’absence de risques graves et avérés pour la santé publique résultant des ondes électromagnétiques émises par les stations antennes relais de téléphonie mobile ne permettait au Maire … ni de faire usage des pouvoirs de police générale qu’il tient du code général des collectivités territoriales ni d’invoquer le principe de précaution » (CE 2-07- 2008, Société Française du Radiotéléphone : n° 310548).
Cette décision était d’ailleurs rendue quelques mois seulement avant l’arrêt Commune d’Annecy où, pour la première fois, le Conseil d’Etat pose le principe de la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement et rappelle que « l’ensemble des droits et devoirs définis dans la charte de l’environnement et à l’instar de toutes [les dispositions] qui procèdent du Préambule de la Constitution, ont valeur constitutionnelle ; [Ils] s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs » (CE 3-10-2008, Commune d’Annecy : n° 297931).
Or, c’est bien dans le courant ouvert par la jurisprudence Commune d’Annecy que s’inscrit la décision qui vient d’être rendue par le Conseil d’Etat puisque celui-ci rappelle expressément : « Considérant qu’il est énoncé à l’article 5 de la Charte de l’environnement à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 que : Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en oeuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ; que ces dernières dispositions qui n’appellent pas de dispositions législatives ou réglementaires en précisant les modalités de mise en oeuvre s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs ; que, dès lors, en estimant que le principe de précaution tel qu’il est énoncé à l’article 5 de la Charte de l’environnement ne peut être pris en compte par l’autorité administrative lorsqu’elle se prononce sur l’octroi d’une autorisation délivrée en application de la législation sur l’urbanisme, le tribunal administratif d’Orléans a commis une erreur de droit ; que l’Association du Quartier Les Hauts de Choiseul est, dès lors, fondée à demander l’annulation du jugement qu’elle attaque ».
Pour autant, tout en reconnaissant l’opposabilité générale du principe de précaution aux autorisations d’urbanisme, le Conseil d’Etat fidèle à sa jurisprudence habituelle en la matière, rejette le moyen en considérant :
« Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que, en l’état des connaissances scientifiques sur les risques pouvant résulter, pour le public, de son exposition aux champs électromagnétiques émis par les antennes de relais de téléphonie mobile, le maire de la commune d’Amboise ait entaché sa décision d’erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions de l’article 5 de la Charte de l’environnement ».
Cette décision peut-elle s’analyser comme les prémisses d’une approche convergeant avec celle des Tribunaux de l’Ordre Judiciaire qui ont déjà ordonné le démantèlement d’une antenne-relais sur le fondement des troubles anormaux de voisinage en estimant «qu’aucun élément ne permet d’écarter péremptoirement l’impact sur la santé publique de l’exposition de personne à des ondes ou des champs électromagnétiques » (CA Versailles 4-02-2009
confirmant TGI Nanterre 18-09-2008 ; voir également TGI Carpentras 16-02-2009) ? Il ne nous semble pas car la formulation du considérant de la décision rendue par le Conseil d’Etat apparaît bien comme la résultante de la prise en compte de la valeur constitutionnelle des dispositions contenues dans la Charte de l’environnement à la suite de la décision Commune d’Annecy rendue en 2008. D’ailleurs, le Conseil d’Etat se refuse à sanctionner «par
précaution ».
En revanche, les approches environnementales renforcées par les principes qui guident les réflexions dites « Grenelle de l’Environnement » apparaissent bien plus encore aujourd’hui comme l’angle d’attaque du sacro-saint principe administratif d’indépendance des législations.