La Cour de Cassation dans un arrêt du 2 mars 2017 a eu à traiter de la problématique d’une demande de résiliation de bail et de dommages et intérêts à l’initiative du locataire pour un risque d’éviction imputable au bailleur.
En l’espèce, une SCI avait donné à bail des locaux dont elle est propriétaire pour l’exploitation d’un restaurant.
Un couple de cédants avait cédé le fonds de commerce de restauration à une société commerciale.
Avant de céder leur fonds de commerce, les époux propriétaires du fonds de commerce avaient fait édifier des locaux sur une partie de terrain appartenant à la société EDF.
Par la suite, pour régulariser cette situation, le bailleur avait conclu avec EDF une convention d’occupation du domaine public hydroélectrique par laquelle le bailleur était autorisé à occuper lesdits terrains, cette autorisation étant strictement personnelle et non transmissible et la société EDF s’étant réservée le droit d’y mettre fin, à tout moment, sans préavis ni indemnité, pour des motifs de sécurité ou des motifs tirés de son exploitation et des nécessités de service public ou encore si une telle mesure lui était imposée par l’Etat.
Le cessionnaire du fonds de commerce a pris acte de cette situation et a considéré que la pérennité de son exploitation du fonds de commerce était menacée par ce droit potentiel à l’éviction à l’initiative d’un tiers au contrat, en l’occurrence EDF.
Il s’avère également que cette convention d’occupation précaire avec EDF est en contradiction avec le bail commercial lui-même qui doit assurer une jouissance paisible de la chose louée pendant la durée du bail.
Dans un premier temps, le Tribunal en première instance avait considéré que les manquements invoqués par le locataire actuel n’étaient pas fondés.
La Cour d’Appel de Toulouse par arrêt du 15 octobre 2014 a au contraire prononcé la résiliation du bail aux torts du bailleur et a octroyé des dommages et intérêts à la société locataire.
Le bailleur a naturellement formé un pourvoi en cassation.
Il a estimé que la revendication par EDF d’une partie des lieux loués était non seulement éventuelle, mais n’affectait pas la jouissance actuelle du bien loué.
Elle a estimé également que pour prononcer des dommages et intérêts et une résiliation du bail, les Juges du fond devaient constater l’éviction du preneur.
La jouissance paisible des lieux loués n’est pas remise en cause puisqu’EDF n’a pris aucune initiative, qu’aucun congé ni aucun commandement de quitter les lieux n’ont été signifiés.
Le bailleur a rappelé que seule une faute d’une gravité suffisante pouvait justifier le prononcé d’une résiliation de contrat et que la faute du bailleur n’était pas suffisamment caractérisée par une gravité suffisante.
Enfin, le bailleur a invoqué l’absence de tout préjudice puisque le locataire poursuivait paisiblement son exploitation.
La Cour de Cassation confirmant la motivation de la Cour d’Appel n’a pas suivi ces moyens de réformation et a considéré que l’exploitation d’une partie des locaux était bien soumise au bon vouloir d’un tiers disposant de droit incontestable de nature à contredire ceux conférés par le bailleur au preneur.
Il convient donc de considérer que le preneur doit faire face à un risque immédiat et réel d’éviction.
La Cour d’Appel a également souverainement retenu que le préjudice résultant de ce que la chose louée était partiellement édifiée sur le terrain d’autrui était certain.
La Cour de Cassation rend une décision qui peut paraître surprenante, mais qui est dans le fil droit de sa jurisprudence.
Elle a déjà affirmé qu’un simple risque d’éviction pouvait justifier la résolution d’un contrat de bail et l’indemnisation du préjudice subi par un preneur (Cour de Cassation 3ème Chambre Civile, 10 mai 1990, n°89-15.772).
Le préjudice est certain puisqu’il constitue « la prolongation directe et certaine d’un état de fait actuel ».
Les auteurs avisés de cet arrêt considèrent qu’il convient de distinguer le préjudice éventuel du préjudice virtuel.
Le premier est purement hypothétique et ne peut donner lieu à indemnisation alors que le second existe en puissance et réunit toutes les conditions de sa réalisation dans l’avenir ; on doit considérer qu’il est virtuellement présent.
Cet arrêt n’est pas en définitive critiquable.
Il est protecteur des droits du preneur.
Le droit des baux commerciaux est caractérisé par le caractère paisible de la jouissance de la chose louée accompagné d’un droit en renouvellement qui est d’ordre public aux termes de l’article L.145-15 du Code de Commerce.
Rien ne doit pouvoir à aucun moment remettre en cause la jouissance paisible et le droit en renouvellement.
Les éléments factuels de cette affaire démontrent que ces conditions n’étaient pas respectées.
La Cour d’Appel de Toulouse a donc jugé convenablement.
Il apparaît dès lors tout à fait évident que la Cour de Cassation ait confirmé l’argumentation de la Cour d’Appel de Toulouse.
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