(Cour de cassation, 3ème chambre civile, 27 juin 2024, n° 22-10.298 ; n° 22-21.272 et n° 22-24.502)
La fin des rapports contractuels entre un bailleur et un locataire commercial est souvent source de conflit.
Le bailleur espère récupérer son bien en bon état.
Le locataire, quant à lui, espère récupérer son dépôt de garantie sans aucune imputation d’éventuels travaux de remise en état.
Comment la Cour de cassation apprécie-t-elle le montant des sommes que peut conserver le bailleur afin de remettre le bien en état ?
La Cour de cassation a rendu trois arrêts le même jour en date du 27 juin 2024 pour permettre de mieux cerner la problématique.
Suffit-il de constater la non-restitution du local en bon état tel que prévu dans le bail, pour justifier de l’allocation de dommages-intérêts au profit du bailleur ?
La jurisprudence a d’abord été fluctuante.
Dans un arrêt publié le 30 janvier 2022(n° 00.15.784), la Cour de cassation avait estimé que si les locaux n’étaient pas rendus en bon état et conformément aux clauses contractuelles, le bailleur avait droit à une indemnité, peu importe si celui-ci avait ou pas effectué les réparations ou s’il justifiait d’un préjudice.
Cette jurisprudence a fait couler beaucoup d’encre.
On vise ici l’hypothèse d’un bailleur qui récupère son bien en mauvais état et qui, pour une raison indéterminée, le cède sans subir véritablement de préjudice sur la valeur du bien et sans effectuer les travaux.
Dans un second arrêt rendu cette fois-ci en assemblée plénière le 3 décembre 2003 (n° 02-18.033), la Cour de cassation a procédé à un revirement.
Elle a affirmé que des dommages-intérêts ne pouvaient être alloués que s’il était constaté l’existence d’un préjudice d’ordre contractuel.
Dès lors qu’un bailleur reloue les locaux à un locataire qui les a réaménagés sans que ce bailleur n’ait contribué ou déboursé quoi que ce soit pour effectuer des travaux, celui-ci n’a pas subi de préjudice et ne doit pas recevoir réparation.
C’est cette jurisprudence qui date de 2003 que la Cour de cassation a conforté par trois arrêts du 27 juin 2023.
Il faut rappeler que l’article 1732 du Code civil instaure une présomption simple de faute du locataire.
Il lui appartient de démontrer qu’il restitue le bien en bon état ou conformément à ce que prévoit le contrat.
L’article 1732 n’instaure pas de présomption d’existence de préjudice.
De même, l’article 1231-2 du Code civil pose le principe de réparation intégrale du préjudice en estimant que les dommages-intérêts dus au créancier doivent correspondre à la perte qu’il a faite et au gain dont il a été privé.
Dans la majorité des cas, le bailleur subit effectivement un préjudice qui correspond au coût de la remise en état des locaux, voire un préjudice d’immobilisation de son bien ou un préjudice de moins-value à la revente ou à la relocation compte tenu de l’état des locaux.
Si effectivement le bailleur n’assume pas le coût des travaux de remise en état dont il demande l’indemnisation, le juge doit évaluer le préjudice au jour où il statue et n’indemniser le bailleur que du préjudice qu’il subit.
Ainsi, le préjudice doit être calculé par le juge en prenant en compte les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles que la relocation, la vente ou la démolition.
Il n’y a pas d’allocation automatique de dommages-intérêts.
Cette jurisprudence de 2003, confortée par celles de 2024, est totalement dans la logique du droit commun de la réparation en matière de responsabilité civile et il faut donc s’en féliciter.
Jean-Luc Médina – Avocat associé
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