(Cour de cassation, 3ème chambre civile, 12 janvier 2022, n° 21-11.169)
La loi sur les baux commerciaux prévoit la révision du loyer commercial afin de l’adapter à l’évolution du coût de la vie.
Aux termes de l’article L 145-38 du Code de commerce, la demande en révision du loyer ne peut être formée que 3 ans au moins après la date d’entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé.
La révision du loyer prend effet à compter de la date de la demande en révision. Il s’agit d’une disposition d’ordre public.
Mais en général les rédacteurs de baux commerciaux vont plus loin et utilisent la possibilité dérogatoire ouverte par l’article L 145-39 du Code de commerce qui prévoit que le bail peut être assorti d’une clause d’échelle mobile.
Il s’agit donc de prévoir une révision contractuelle automatique et annuelle alors que l’article L 145-38 ne prévoit qu’une révision triennale facultative puisqu’elle nécessite l’accomplissement de formalités.
La variation de loyer qui découle de cette révision automatique et annuelle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente.
Les rédacteurs attentifs prévoient systématiquement la mise en place dans les rapports contractuels entre locataires et propriétaires d’une clause d’échelle mobile annuelle et automatique.
L’objectif est de faire suivre l’évolution du loyer au coût de la vie en indexant le loyer commercial sur l’un des trois indices existants et en lien avec l’activité commerciale ou de service :
– l’indice du coût de la construction,
– l’indice des loyers commerciaux,
– l’indice des activités tertiaires.
En effet, par application de l’article L 112-2 du Code monétaire et financier, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services n’ayant pas de relation directe avec l’objet du statut ou de la convention ou avec l’activité de l’une des parties.
Bien que la rumeur publique le laisse entendre parfois, il n’est pas interdit aujourd’hui d’indexer le loyer commercial à l’indice du coût de la construction.
Il est bien évidemment plus simple de faire appel à l’indice des loyers commerciaux (ILC), car c’est cet indice qui sert de base au calcul du loyer plafonné (qui n’est pas l’objet de notre présente étude).
Jusqu’en 2009, les loyers étaient révisés systématiquement à la hausse.
Pour la première fois au cours du premier trimestre 2009, l’indice des loyers commerciaux a connu une baisse. L’année 2009 fut cauchemardesque pour les bailleurs.
C’est à la fin de l’année 2011 que la situation s’est rétablie. Elle était due à la crise financière de 2008 et elle a traumatisé les bailleurs et leurs conseils.
Depuis cette date, seule l’année 2020 a fait connaître une autre baisse de l’indexation des loyers due à l’épidémie Covid-19.
Cependant, traumatisés par l’année 2009, les rédacteurs de baux commerciaux ont imaginé rédiger des clauses d’indexation annuelle de loyer permettant uniquement une indexation du loyer à la hausse, mais neutralisant toute possibilité d’indexation à la baisse.
Le loyer ne pouvait donc être contractuellement indexé qu’à la hausse.
C’est le début du feuilleton qui a occupé la Cour de cassation pendant une dizaine d’années et qui continue à l’occuper encore.
La Cour de cassation, dans un arrêt de principe du 14 janvier 2016, a affirmé que le propre d’une clause d’échelle mobile était de faire varier le loyer à la hausse, comme à la baisse.
Elle a donc posé le principe selon lequel une clause d’indexation qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne pouvait être révisé qu’à la hausse devait être réputée non écrite (Cour de cassation, 3ème ch. Civ., 14 janvier 2016, n° 14-24.681).
Les conséquences sont particulièrement sévères pour le bailleur.
Non seulement celui-ci doit restituer les augmentations intervenues durant les 5 dernières années, mais la clause étant réputée non écrite, il ne peut plus procéder à indexation pour l’avenir, la clause n’existant plus.
Il lui reste à se replier sur les dispositions de l’article L 145-38 du Code civil qui sont d’ordre public, même si elles ne sont pas reprises dans le bail, et procéder à la révision du loyer et à son indexation tous les 3 ans en respectant les formes requises.
A partir de là, la Cour de cassation a commencé à évoluer et à danser un tango particulièrement préjudiciable aux locataires et bailleurs en termes de sécurité dans les rapports contractuels.
La Cour de cassation a dans un premier temps laissé les juges du fond trancher le point de savoir si la clause devait être réputée non écrite dans sa totalité ou simplement dans sa partie excluant la réciprocité.
Si seule la partie de la clause excluant la baisse est réputée non écrite, la clause pourra jouer son office à la hausse comme à la baisse. La clause continuerait d’exister dans le bail dans une version d’augmentation et de baisse réciproques.
La Cour de cassation a considéré que si la clause irrégulière était une condition essentielle du contrat, toute la clause devait être réputée non écrite.
Entre 2016 et 2020, un certain nombre de tribunaux ont déclaré ce type de clause non écrite, infligeant aux bailleurs une sanction aussi disproportionnée qu’imméritée.
A partir d’un arrêt de la Cour de cassation remarqué du 29 novembre 2018 et poursuivi par des arrêts des 19 décembre 2019 et 6 février 2020, la position de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a commencé à évoluer sur l’étendue de la sanction qui frappe les clauses d’indexation contraires aux articles L 112-1 du Code monétaire et financier ou L 145-39 du Code de commerce.
Dans deux arrêts du 30 juin 2021 (n° 20-11.685 et n° 19-23.038), la Cour de cassation a affirmé désormais très clairement que seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée par la loi devait être réputée non écrite et non l’intégralité de la clause, quel que soit le caractère essentiel ou pas de la clause.
Dans le second arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 juin 2021 (n° 19-23.038), les juges avaient à se prononcer sur une clause d’indexation prévoyant qu’elle ne jouerait qu’à la hausse, mais dans la limite d’un plafond annuel de 3 % pendant les 3 premières années.
Le locataire a assigné le bailleur aux fins de voir déclarer non écrite cette clause d’indexation et de le voir condamner au remboursement de toutes les sommes perçues en sus du loyer contractuellement exigible.
La Cour d’appel de Reims avait dans un premier temps déclaré l’intégralité de la clause non écrite en considérant que cette clause d’indexation était indivisible.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 30 juin 2021, a refusé cette analyse d’indivisibilité de la clause.
Elle a considéré que seule la stipulation prohibée devait être réputée non écrite et non l’ensemble de la clause.
Elle a affirmé également que le caractère essentiel de la clause n’était plus un obstacle à son effacement partiel.
Encore tout récemment, le 12 janvier 2022, la 3ème chambre de la Cour de cassation avait encore à se prononcer sur une clause d’indexation annuelle du loyer stipulant qu’elle ne pourrait s’appliquer qu’en cas de variation à la hausse de l’indice de référence.
Dans cette affaire particulière, la Cour d’appel avait considéré que la clause d’indexation dans son entier devait être réputée non écrite.
Les juges de la Cour d’appel avaient retenu que l’intention du bailleur était d’en faire, sans distinction de ses différentes parties, une condition essentielle et déterminante de son consentement, que toutes les stipulations de cette clause revêtaient un caractère essentiel conduisant à l’indivisibilité et empêchant d’opérer un choix entre elles pour n’en conserver que certaines.
La Cour de cassation a considéré que cette motivation de la Cour d’appel ne pouvait pas caractériser l’indivisibilité de la clause et que seule la stipulation prohibée devait être réputée non écrite, c’est-à-dire celle qui prévoyait uniquement l’indexation à la hausse sans prévoir la baisse.
Cet arrêt récent du mois de janvier 2022 est un message très clair de la Cour de cassation aux différentes Cours d’appel pour leur demander de cesser de rechercher si les clauses ont un caractère essentiel ou pas, si elles sont indivisibles ou pas, en permettant un effacement partiel des clauses permettant du coup à celles-ci de jouer à la fois à la hausse et à la baisse et de revenir à l’équilibre contractuel.
Tous les raisonnements sur le caractère essentiel et indivisible de la clause ne sont plus retenus par la Cour de Cassation qui avait pourtant ouvert la voie à ce raisonnement dans son arrêt du 14 janvier 2016.
Mais la Cour de Cassation de 2016 n’est pas celle de 2020, ni de 2021, elle a évolué, elle a changé de position et cela s’appelle simplement un revirement de jurisprudence.
Ce revirement de jurisprudence a été très préjudiciable aux bailleurs pendant des années.
Certains d’ailleurs vivent encore, malgré le revirement de jurisprudence, avec des baux qui ont vu la clause d’indexation réputée non écrite dans son intégralité.
Le préjudice est encore présent ce jour, puisqu’un revirement de jurisprudence ne peut pas permettre de revenir sur des décisions de justice antérieures.
Cette jurisprudence, qui a duré 5ans, est dépassée aujourd’hui et elle a coûté inutilement plusieurs milliers d’euros à nombre de bailleurs.
L’arrêt rendu le 12 janvier 2022 sonne-t-il la fin du tango de la Cour de Cassation ?
Jean-Luc Médina – Avocat associé
Pour plus d’informations, vous pouvez le contacter jl.medina@cdmf-avocats.com – 04.76.48.89.89
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