La Cour de Cassation a eu à se prononcer sur la possibilité juridique pour un bailleur de pouvoir obtenir la résiliation d’un bail commercial après l’échéance d’un congé sans offre de renouvellement et sans offre d’indemnité d’éviction alors que le locataire a quitté les lieux au moment où les juridictions statuent.
Les faits sont les suivants :
Par acte en date du 13 décembre 1995, un contrat de bail commercial a été régularisé.
Par acte en date du 18 février 2011, le locataire a assigné les bailleurs en paiement de travaux et à titre subsidiaire en résiliation du bail à leurs torts exclusifs.
En cours d’instance invoquant des retards de paiement des loyers et la réalisation de travaux non autorisés, les bailleurs ont donné congé à leur locataire par acte en date du 22 mai 2013 à effet au 30 novembre 2013.
Il s’agit d’un congé avec refus de renouvellement et refus de paiement d’une indemnité d’éviction.
Le locataire n’a pas contesté la validité du congé mais a sollicité le paiement d’une indemnité d’éviction.
Reconventionnellement les bailleurs ont sollicité la résiliation du bail expiré alors qu’en cours d’instance le locataire a définitivement quitté les lieux le 15 octobre 2015 et ne prétendait ainsi plus exercer son droit au maintien dans les lieux.
La Cour d’Appel de Chambéry par arrêt du 31 mai 2016 a rejeté la demande en résiliation du bail formée par le bailleur considérant que le bailleur avait mis fin au bail par le congé donné au 30 novembre 2013, que la demande des bailleurs n’indiquait pas la date à laquelle devait être prononcée la résiliation et que cette demande de résiliation n’avait de sens que si elle était prononcée à une date antérieure à la date d’effet du congé.
De surcroit, la Cour d’Appel de Chambéry a considéré que le locataire avait définitivement quitté les lieux le 15 octobre 2015 et qu’en définitive, la demande de résiliation était devenue sans objet.
La Cour de Cassation a considéré qu’il était possible de retenir une faute du locataire entraînant la résiliation du contrat dès lors que celui-ci postérieurement au congé donné à effet au 30 novembre 2013 s’était maintenu dans les lieux dans l’attente du paiement de l’indemnité d’éviction.
Une résiliation peut être prononcée et entrainer la déchéance de son droit au paiement de l’indemnité d’éviction peu importe que le preneur ait quitté les lieux en cours d’instance.
Il convient en premier lieu d’analyser le congé sans offre de renouvellement et sans paiement d’indemnité d’éviction délivré par la bailleur à effet au 30 novembre 2013.
Selon l’article L145-17 du code de commerce, le bailleur peut refuser l’indemnité d’éviction en cas de motif grave et légitime à l’encontre du locataire sortant.
Le renouvellement fondé sur l’inexécution d’une obligation par le locataire doit être précédée d’une mise en demeure.
Or, dans l’acte de congé à effet au 30 novembre 2013, les bailleurs avaient invoqué une occupation illicite avec effraction de la porte d’entrée des combles, mais ce motif était imprécis et n’avait pas fait l’objet d’une mise en demeure préalable au congé.
Dès lors, sur la base de ce congé à effet au 30 novembre 2013, le locataire pouvait prétendre au paiement d’une indemnité d’éviction, mais le bailleur a demandé aux juridictions de résilier le bail au motif que la société locataire ne respectait pas les charges et obligations du bail expiré dans le cadre de l’exercice de son droit au maintien dans les lieux.
Effectivement, les bailleurs n’ont pas indiqué à quelle date devait être prononcée la résiliation, de même la société locataire a définitivement quitté les lieux le 15 octobre 2015 au moment où les juridictions devaient statuer sur cette demande de résiliation.
Doit-on donc conclure que le bail est expiré depuis le 30 novembre 2013 et que le droit au paiement de l’indemnité d’éviction est définitivement acquis par le locataire du fait de l’expiration du bail et de son départ des lieux ?
La Cour de Cassation n’admet par le raisonnement de la Cour d’Appel de Chambéry.
Sa motivation est très claire : le locataire qui se maintient dans les lieux aux clauses et conditions du bail expiré dans l’attente du paiement de l’indemnité d’éviction peut être sanctionné par la résiliation du bail en cas de faute qui entraîne la déchéance de son droit au maintien dans les lieux et de son droit au paiement de l’indemnité d’éviction.
Le fait que le locataire ait quitté les lieux en cours de procédure est totalement inopérant et n’empêche pas le bailleur de voir prononcer la déchéance du droit à indemnité d’éviction.
Il faut savoir que le locataire postérieurement au congé et à compter du 1er décembre 2013 a réglé une indemnité d’occupation dont le montant correspondait à 80% seulement du loyer jusqu’alors pratiqué en violation des clauses contractuelles.
Dès lors, le locataire s’est mis lui-même en danger.
Cette solution apparaît logique sur le plan juridique.
Postérieurement au congé en date du 30 novembre 2013, en vertu de l’article L.145-28 du code de commerce, le locataire a droit au maintien dans les lieux jusqu’au paiement de son indemnité d’éviction.
Il faut considérer alors que le bail se poursuit jusqu’à la décision des juridictions sur la réalité du motif grave et légitime invoqué par le bailleur. Cela oblige le locataire à respecter l’ensemble des clauses et charges du bail qui se poursuit dans l’attente de la décision de justice.
Le locataire doit respecter les clauses contractuelles sans quoi il encourt une résiliation du bail postérieure au congé, résiliation qui lui ôte tout droit à indemnité d’éviction.
Cette décision est intéressante et rappelle aux praticiens que quels que soient les congés délivrés de part et d’autre les demandes en résiliation, dès lors que l’occupation des lieux se poursuit, les clauses contractuelles doivent être respectées sous peine de faire prospérer des demandes en résiliation postérieures aux dates des congés.
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