(Cour de Cassation, chambre commerciale, 23 octobre 2024, n° 23-11.772)
Affaire intéressante, mais au résultat classique rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 23 octobre 2024 entre une SCI bailleresse et un locataire institutionnel en la personne de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel.
Dans cette affaire, c’est la bailleresse qui a fait l’objet d’une procédure collective, alors qu’en général on imagine que c’est le locataire qui peut subir les affres de la procédure collective.
La SCI avait donné à bail commercial à la Caisse Régionale de Crédit Agricole un local commercial qui comportait des problèmes de mise aux normes et notamment qui nécessitait des travaux de désamiantage.
Dans un premier temps, le tribunal saisi en référé avait condamné la bailleresse à faire exécuter les travaux de désamiantage et avait ordonné la mise sous séquestre des loyers dus par la locataire.
Par la suite, la bailleresse avait assigné sa locataire aux fins notamment de voir ordonner une expertise sur l’état actuel du local loué et sa remise en état aux frais de la locataire.
Cette dernière a demandé reconventionnellement la résiliation du bail aux torts de la bailleresse et sa condamnation au paiement de dommages-intérêts.
S’agissant de travaux de mise aux normes et d’entretien, ce type de litige oppose souvent bailleur et locataire.
Le locataire qui estime ne pas pouvoir jouir du local commercial mis à sa disposition est tenté de soulever l’exception d’inexécution en ne réglant pas les loyers courants ou, par précaution, en sollicitant la mise sous séquestre.
Par jugement du 30 juin 2020, le tribunal a prononcé la résiliation du bail conclu le 2 avril 2015 et condamné la bailleresse à payer une somme à sa locataire au titre des travaux de désamiantage qu’elle avait dû réaliser elle-même, en rejetant les autres demandes indemnitaires.
La locataire a interjeté appel de ce jugement.
Le 18 janvier 2021, la SCI bailleresse a été mise en redressement judiciaire, obligeant sa locataire à déclarer sa créance et à reprendre l’instance après intervention volontaire de l’administrateur et du mandataire judiciaire de la bailleresse.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de FORT-DE-FRANCE le 8 novembre 2022 a condamné la bailleresse à payer la somme de 94 400,74 € au titre des travaux de désamiantage, ainsi qu’une somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts.
La bailleresse a également été condamnée à payer la somme de 324 500 € au titre des loyers acquittés sans contrepartie par sa locataire, somme qui était séquestrée.
La Cour de cassation a bien évidemment cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de FORT-DE-FRANCE.
En effet, la Cour de cassation a constaté que la créance était née antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective, de sorte que la Cour d’appel devait se borner à en fixer le montant sans pouvoir condamner le débiteur à les payer.
Cette règle rappelée par la Cour de cassation est logique et classique, puisque par application des articles L 622-21 et L 622-22 du Code de commerce dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 15 septembre 2021, il n’est pas possible de condamner une société en redressement judiciaire pour des créances antérieures au jugement d’ouverture de la procédure collective.
Il n’est pas possible de la condamner au paiement des travaux de désamiantage et des dommages-intérêts et il n’est également pas possible de la condamner à restituer des loyers acquittés sans contrepartie et qui ont été séquestrés.
Ce rappel de règle classique a quand même un impact sur la pratique.
En effet, dans l’hypothèse d’une inexécution par le bailleur d’une obligation essentielle résultant des dispositions des articles 1719 et suivants du Code civil comme l’obligation de délivrance, le locataire est toujours tenté de cesser le règlement des loyers, voire, par souci de bonne foi, de les séquestrer.
Or, le séquestre peut entraîner immédiatement des difficultés de trésorerie pour le bailleur qui peut se voir mis en procédure collective.
Cette situation va entraîner l’impossibilité pour le locataire de récupérer les loyers séquestrés.
Il y a donc tout intérêt à préférer l’exception d’inexécution et le non-règlement des loyers plutôt que le séquestre.
Cet arrêt, a priori anodin, a une importante réalité pratique.
Jean-Luc Médina – Avocat associé
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