L’IRRESPONSABILITÉ PÉNALE
Des drames aux retentissements humains considérables viennent régulièrement s’insérer dans le fil de l’actualité.
Deux infirmières sauvagement agressées par un patient à l’hôpital psychiatrique de PAU…
Un brillant étudiant sauvagement poignardé sur un trottoir du centre ville à Grenoble…
Dans une société de l’émotion où la compassion des prises de position manque parfois d’une connaissance et d’une réflexion en profondeur, chacun tente de prendre parti.
Et pourtant le sujet s’avère particulièrement difficile et ne saurait se limiter à une vision médiatique, derrière laquelle nous nous positionnerions, comme « les consommateurs du café du commerce ».
Il serait à espérer que la gravité et la difficulté du sujet l’éloignent des rives idéologiques ou politiques.
Aborder la question de l’abolition du discernement ou de la responsabilité pénaledans la commission de tels faits criminels impose certainement de la mesure, de la réflexion et de l’humilité tant il est vrai que pour les praticiens, médecins psychiatres, magistrats, avocats, les solutions sont parfois redoutables dans le choix entre une incarcération ou une hospitalisation.
Comment punir celui qui relève de soins et comment soigner celui qui peut relever d’une confrontation à la loi pénale?
L’écueil dans cette réflexion serait sans doute de prodiguer des solutions miracles qui n’existent pas.
Bien souvent à la suite de tels drames, statistiquement peu nombreux au regard de la population concernée, mais aux répercussions considérables dans l’opinion publique, il faudra chercher un coupable au delà même de celui qui a commis les faits.
L’actualité récente nous a montré comment le médecin ou le juge pouvaient alors devenir aisément les boucs émissaires d’une société qui refuse souvent l’omission d’une réflexion en profondeur et la mise en œuvre de moyens.
Il suffit de fréquenter les établissements pénitentiaires pour savoir quelle est actuellement l’indigence de ceux-ci face aux besoins et la difficulté à organiser la privation de liberté, pour ceux qui relèvent plus des soins et de la psychiatrie.
De la même façon l’avenir de la psychiatrie semble incertain et inquiétant au regard de la surcharge de travail et de la difficulté dans les années à venir de mobiliser les effectifs nécessaires dans cette spécialisation médicale.
La justice est déjà à l’heure actuelle confrontée aux plus grandes difficultés pour trouver des experts psychiatres afin d’apprécier l’abolition où l’altération du discernement de la personne mise en examen au moment des faits commis.
Restera-t-il demain suffisamment de praticiens pour s’occuper ,soit en milieu carcéral, soit en milieu hospitalier de ceux dont la responsabilité pénale sera modulée en fonction de cette abolition ou de cette altération du discernement?
Faute de dialogue entre les praticiens des disciplines concernées, juristes et médecins, faute de moyens ambitieux pour nos politiques de justice et de santé, il est à craindre que notre société continue à connaître de plus en plus les soubresauts de faits divers où la recherche de la responsabilité ou de l’irresponsabilité pénale ne constituera pas un gage de protection pour la société et surtout de thérapie pour l’individu.
Notre procédure pénale, trop régulièrement remaniée dans son édifice au cours de ces dernières années, par touches successives, sans ambition d’une refonte d’ensemble dans un cadre normatif européen a connu avec les dispositions de la loi numéro 2008 – 174 du 25 février 2008 d’importantes évolutions.
Cette loi du 25 février 2008 est relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Antérieurement à la mise en œuvre de ce nouveau texte, le Code Pénal traitait des causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité en son article 122-1.
En application de l’article 122-1 du code pénal: « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »
Dès lors, lorsque les experts psychiatres concluaient à l’application de l’article 122-1 alinéa 1 du code pénal, la personne ayant commis un crime ou délit ne pouvait être soumise à une responsabilité pénale et bénéficiait d’une ordonnance de non-lieu.
En application de l’article 122-1 alinéa 2 du code pénal « la personne qui était atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ».
Dans ce cas la juridiction doit tenir compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime.
Assez fréquemment dans les procédures criminelles, les expertises psychiatriques ordonnées amènent à des conclusions contradictoires sur l’application de l’alinéa 1 ou de l’alinéa 2 de l’article 122-1 du Code Pénal.
Une part d’aléa importante existe alors devant la juridiction de jugement, si des expertises conformes n’ont pas conclu à l’abolition du discernement avec la possibilité pour la juridiction de jugement de prononcer un acquittement ou une condamnation.
Au fil des années, les décisions de non-lieu fondées sur l’article 122 alinéa 1 du code pénal ont eu tendance à se réduire considérablement.
Les personnes jugées, mais bénéficiant des dispositions de l’article 122 alinéa 2 du code pénal ont vu par ailleurs, en général, les peines prononcées s’avérer plus importantes, la société voulant manifestement se protéger de celui souffrant d’un trouble mental.
Cependant il demeurait pour les victimes, une immense frustration en cas de non lieu ou d’arrêt d’acquittement, la psychiatrie prenant le relais en totale autonomie et sans empreinte de la justice.
Il était ainsi inacceptable aux yeux des victimes qu’une personne ayant commis un crime horrible bénéficie d’une ordonnance de non-lieu, voire d’une décision d’acquittement, sans même une quelconque mention au casier judiciaire.
Pour autant, comment était il envisageable de juger une personne dont l’état mental était de nature à rendre impossible toute comparution?
La loi du 25 février 2008 a voulu instaurer une procédure dénommée déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, afin de compléter l’arsenal existant.
Le nouvel article 706-119 du Code de Procédure Pénale, issu de cette loi, fixe de nouvelles modalités que le Juge d’Instruction doit suivre s’il estime que l’article 122-1 alinéa1 du code pénal peut être appliqué en raison du trouble mental du mis en examen.
Qu’adviendra-t-il au passage, des modalités ultérieures d’application avec la mort annoncée du juge d’instruction, et quelles seront les garanties en la matière pour une exigence forte et indispensable pour apprécier ce statut de responsabilité ou d’irresponsabilité?
En l’état, le juge d’instruction rendra une ordonnance d’irresponsabilité pénale constatant que l’intéressé a commis les faits reprochés.
Soit, à la demande du procureur de la république ou des parties, et notamment des victimes, il saisira du dossier la chambre de l’instruction.
Les débats se dérouleront en audience publique, le président procède à l’interrogatoire de la personne mise en examen, les experts ayant examiné la personne mise en examen sont entendus par la Chambre de l’instruction, des témoins cités par les parties ou par le ministère public peuvent être entendus.
Pour autant cette audience, tenue par des magistrats professionnels, est bien différente d’une audience telle que nous pouvons la connaître devant la Cour d’assises.
La Chambre de l’instruction prendra un arrêt de « déclaration d’irresponsabilité pénale » pour cause de trouble mental si elle estime qu’il existe contre la personne mise en examen des charges suffisantes d’avoir commis les faits reprochés et d’autre part si l’article122-1 alinéa premier du code pénal est applicable.
En cas de renvoi devant les juridictions de jugement celles-ci peuvent également déclarer l’irresponsabilité pénale de l’accusé ou du prévenu pour trouble mental.
La loi du 25 février 2008 a par ailleurs prévu que des mesures de sûreté peuvent être prononcées par la Chambre de l’instruction et les juridictions de jugement à l’encontre des personnes déclarées pénalement responsables pour cause de trouble mental.
Il s’agit en particulier de l’hospitalisation d’office.
Les décisions d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental doivent figurer au bulletin numéro 1 du casier judiciaire.
Il faut rappeler que le conseil constitutionnel avait dans sa décision du 21 février 2008 émis une réserve d’interprétation pour cette inscription au casier judiciaire en cas d’absence de mesure de sûreté prononcée.
Cette réserve renvoie bien à l’interrogation fondamentale sur ce texte nouveau, sur le caractère ou non de sanction pénale de la décision d’irresponsabilité pénale.
Il faut encore souligner qu’en cas d’irresponsabilité pénale prononcée par la Chambre de l’instruction la victime pourra demander le renvoi de l’affaire devant le Tribunal Correctionnel pour qu’il se prononce sur la responsabilité civile et statue sur les dommages-intérêts.
Force est de constater à la lecture de l’ensemble de ces dispositions, que la responsabilité des divers praticiens, juges, experts, psychiatres, avocats est immense et redoutable pour apprécier la responsabilité ou l’irresponsabilité pénale de la personne souffrant d’un trouble mental avec ses conséquences tant du côté des victimes que de la personne poursuivie.
L’humilité et l’appréciation exigeante, au cas par cas, seront sans doute, comme souvent, les meilleurs alliés de la justice.
Comments ( 0 )