Cour de Cassation, 3ème chambre civile, 11 janvier 2023, n° 21-19.778
La Cour de Cassation précise la portée des dispositions de l’article L 480-13 du code de l’urbanisme, et clarifie le régime des démolitions de constructions non conformes aux règles d’urbanisme mais conformes à un permis de construire.
Pour rappel, l’article L 480-13 du code de l’urbanisme dispose que :
« Lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire :
1° Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et, sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l’Etat dans le département sur le fondement du second alinéa de l’article L. 600-6, si la construction est située dans [un site protégé] ».
2° Le constructeur ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire à des dommages et intérêts que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir ou si son illégalité a été constatée par la juridiction administrative. L’action en responsabilité civile doit être engagée au plus tard deux ans après l’achèvement des travaux.
Dans un premier temps, la Cour a, dans un arrêt du 21 mars 2019 (Cass.civ.3, n° 18-13.288), circonscrit le périmètre de l’application de l’article L 480-13 du code de l’urbanisme.
L’arrêt de la cour d’appel, infirmé, avait en effet admis la démolition d’une construction dont le permis avait été annulé par les juridictions administratives, sur le fondement de la responsabilité civile de droit commun (article 1240 c.civ), la faute du bénéficiaire du permis de construire étant démontrée par l’annulation juridictionnelle de ce permis. La cour d’appel écartait ainsi l’application de l’article L 480-13 du code de l’urbanisme.
La Cour de Cassation juge « qu’en statuant ainsi, alors que l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme s’applique à l’action en responsabilité civile tendant à la démolition d’une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu’elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique, la cour d’appel, qui a constaté que la construction n’était pas située dans l’un des périmètres spécialement protégés, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les textes susvisés. »
Ainsi, les conditions de l’action en démolition posées à l’article L 480-13 du code de l’urbanisme ne peuvent être contournées sur le fondement de la responsabilité civile pour faute.
En effet, la loi du 6 août 2015 modifiant l’article L 480-13 du code de l’urbanisme avait justement pour objectif de limiter les possibilités d’action en démolition aux seules constructions situées dans des zones sensibles, pour des motifs d’ordre écologique ou de risques.
Cependant, par des arrêts du 20 octobre 2021, la 3ème chambre civile rappelle que la demande de démolition d’une construction illégale, y compris au terme de l’annulation d’un permis de construire, peut être obtenue sur le fondement du trouble anormal de voisinage, qui est un régime de responsabilité sans faute.
La démolition n’est alors pas la sanction d’une violation des règles d’urbanisme, mais la réparation d’un préjudice subi par un voisin, dans l’hypothèse où une réparation financière ne serait pas jugée suffisante (Cass.civ. 3, 20 octobre 2021, n° 19-23.233, 19-26.155, 19-26.156).
Enfin, l’arrêt commenté du 11 janvier 2023 apporte d’importantes précisions sur l’application de l’article L480-13 du code de l’urbanisme, lorsque les conditions de la démolition sont réunies, c’est-à-dire lorsque le permis de construire a été annulé, et que la construction litigieuse est située dans un secteur protégé.
Dans cette affaire, un permis de construire délivré pour l’édification de plusieurs éoliennes (« aérogénérateurs »), dans une zone de protection spéciale pour la conservation d’espèces d’oiseaux sauvages, a été annulé par la cour administrative d’appel de Marseille en raison de l’insuffisance de l’étude d’impact (article R 431-16 du code de l’urbanisme).
Des associations de protection de la nature et des paysages ont alors saisi le tribunal judiciaire d’une demande de démolition des éoliennes.
Cette condamnation, obtenue en première instance, est annulée par la cour d’appel de Montpellier au motif que « la construction du parc éolien de X.. n’a pas été édifiée par la SARL Energie renouvelable du Languedoc (ERL) en méconnaissance de règles d’urbanisme ni de servitudes d’utilité publique applicables en l’espèce, véritables règles de fond en matière d’utilisation des espaces et non simples règles de procédure, au sens de l’article L. 480-13 a) »
Adoptant une conception large du spectre des règles d’urbanisme, la Cour de cassation sanctionne ce raisonnement et retient, au visa d’une application combinée des articles L 480-13 du code de l’urbanisme et 1240 du code civil (ex-1382, responsabilité délictuelle de droit commun) qu’« il en résulte que toute méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique [sans distinction de forme ou de fond] peut servir de fondement à une action en démolition d’une construction édifiée conformément à un permis de construire ultérieurement annulé, dès lors que le demandeur à l’action démontre avoir subi un préjudice personnel en lien de causalité directe avec cette violation ».
La Cour de cassation renvoie l’affaire au fond pour le prononcé de la démolition et notamment à l’appréciation de la démonstration d’un préjudice personnel en lien de causalité direct avec la violation de la règle d’urbanisme méconnue. L’on peut présumer après lecture de l’arrêt de la Cour de cassation que le couple d’aigles royaux a dû déménager et que l’atteinte à son habitat ou à sa zone d’évolution pourrait constituer le préjudice personnel des associations requérantes, justifiant à terme la démolition du parc. Il peut être relevé de cet arrêt un second apport, la Cour de Cassation retenant que « la condamnation à démolir une construction édifiée en méconnaissance d’une règle d’urbanisme ou d’une servitude d’utilité publique et dont le permis de construire a été annulé est subordonnée à la seule localisation géographique de la construction à l’intérieur de l’une des zones visées, sans qu’il soit nécessaire que la construction ait été édifiée en violation du régime particulier de protection propre à cette zone. » La cour d’appel ayant considéré à tort que les associations requérantes auraient dû démontrer que la construction du parc éolien était contraire à des dispositions spécifiques à la zones protégée.
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